Deux sadiques pour un ange noir: Gabriele Carrara, Vittorio Joderi, Fabrizio Moresco
Afin de continuer à alimenter cette rubrique, voilà trois nouveaux visages qui appartiennent à ces acteurs qui ont traversé l'univers du cinéma de genre de façon parfois si éphémère ou anonyme qu'il est souvent bien difficile au novice de les identifier. Ils font cependant partie de l'inconscient collectif du cinéma Bis auquel ils seront à jamais associés, piquant notre curiosité, attirant notre attention mais bien difficile parfois de savoir qui ils étaient réellement. Nous vous invitons une fois de plus dans notre véritable pépinière de visages qui trop souvent gardent leur mystère avec aujourd'hui deux incarnations parfaites du sadisme et un inquiétant brun ténébreux. C'est bel et bien l'image qu'on gardera de ce trio latin qui laissa son empreinte indélébile sur quelques unes de ces pellicules qu'on affectionne tant. Membres à part entière du patrimoine du Bis transalpin, nous allons comme d'accoutumée essayer de mettre plus en lumière ces visages d'un jour qui auront marqué pour les deux premiers l'histoire du nazisploitation et celle du giallo pour le troisième. Voici sans plus tarder l'étrange itinéraire de Gabriele Carrara, Vittorio Joderi et Fabrizio Moresco.
On se souvient de lui pour son extraordinaire prestation dans Casa privata per le SS / Maisons privées pour SS et KZ9 camp d'extermination, les deux nazisploitations de Bruno Mattei qu'il tourna en 1976. Dans le premier il y campait Hans Schellenberg, un officier allemand impuissant et voyeur particulièrement hystérique, dans le second, un peu moins
présent, il interprétait Otto Hollendorf, un lieutenant nazi sadique toujours prêt à humilier et torturer les détenues. Deux rôles quasiment similaires qui se caractérisaient par la performance hallucinée et délirante de Gabriele qui en l'espace de ces pellicules aura à jamais marqué l'histoire non seulement de l'éros svatiska mais du cinéma de genre de façon plus générale. Souvent surnommé le Malcolm McDowell italien pour ses mimiques qu'il semblait avoir emprunté au célèbre acteur anglais, Gabriele fera une ultime apparition au grand écran en 1986 dans le sex mondo d'Antonio D'Agostino Noi e l'amore: comportamente sessuale variante.
Si en France on connait surtout Gabriele pour ses rôles d'officier SS chez Mattei, il n'est pourtant pas un inconnu dans son pays natal. Né le 15 aout 1954 à Rapallo, Gabriele est le frère de l'acteur Salvatore Carrara. Il fit ses débuts de comédien à l'aube des années 70 en apparaissant dans quelques téléfilms notamment aux cotés de son épouse, l'actrice Daniela Gatti, avec qui il partagea l'affiche de Enrico IV en 1971. Mais c'est dans une toute autre discipline que Gabriele s'est fait connaitre. Il est en effet tout comme sa femme un des artiste doubleur les plus connus d'Italie depuis de très nombreuses années. Il est notamment sur certains films la voix italienne de Christopher Lee, Christopher Lloyd, Frank Zagarino et Tony Curtis. Il est la voix de nombreux personnages de séries télévisées et de soap opera tels General hospital, Santa Barbara, Perry Mason. Gabriele travaille également beaucoup sur les dessins et séries animées dont Lady Oscar, Belle et Sebastien, Galaxy express 999, Bomber X ou encore Astérix et la potion magique. Il est assez amusant de savoir que Gabriele s'est lui fait doubler sur Maisons privées pour SS et KZ9 par le savoureux Sergio Graziani. Voilà qui est bien ironique pour un doubleur professionnel!
Beaucoup plus atypique est le parcours de Vittorio Joderi, un nom sur lequel il est bien difficile de mettre un visage. Les amateurs de nazisploitations pourtant le connaissent bien puisqu'il est au générique de Bourreaux SS / La dernière orgie du 3ème Reich de Cesare Canevari. Il y interprète le sadique Weissman, un des bras droit du commandant Von Starker, l'officier qui tout en faisant l'amour caresse le cadavre carbonisé d'une juive. Mais qui était donc cet acteur filiforme facilement reconnaissable à sa petite moustache et ses cheveux
grisonnants? En fait Vittorio Joderi n'était pas à proprement parlé un véritable comédien. Le cinéma n'était pour lui qu'une simple distraction pour satisfaire certaines de ses ambitions. Vittorio était en réalité propriétaire d'un petit restaurant. Il faisait partie de ces gens qui aimaient se donner de grands airs. Avoir de l'argent était pour lui important. Tino Polenghi qui fut son partenaire dans le film de Canevari se souvient qu'à cette époque il roulait en voiture américaine aux cotés d'une splendide jeune fille d'une vingtaine d'années supposée être sa petite amie alors qu'il en avait déjà plus de quarante. Il aimait s'exhiber ainsi, jouer à l'idiot même si affirme Polenghi ce n'était qu'un jeu, une apparence qu'il se donnait. Etre de temps à autre comédien lui permettait de gagner suffisamment d'argent pour vivre la vie dont il rêvait et réaliser certaines de ses folles envies. Sur les plateaux, Vittorio était dit-on d'un grand professionnalisme, un forcené de travail. Pour jouer il aurait été prêt à payer producteurs et réalisateurs. Malheureusement sa carrière cinématographique fut assez maigre puisqu'il n'est apparu du moins crédité que dans six films en l'espace de cinq toute petites années, condamné à faire de la figuration. Sa première apparition recensée remonterait à 1973 dans La guerre des gangs de Umberto Lenzi dans lequel il interprète Giorgio, l'homme de main qui torture Antonio Casagrande en lui plaçant des électrodes sur le pénis. On l'aperçoit brièvement l'année suivante dans la sexy comédie Quella provincia maliziosa aux cotés de Karin Well puis il retrouve à deux reprises Lenzi pour de nouveau jouer un homme de main dans Milano: la polizia non puo sparare et L'uomo della strada fa giustizia.
Bourreaux SS qu'il tourne en 1977 restera son rôle le plus conséquent et le plus audacieux également car outre la scène du cadavre carbonisé il fallait oser lécher les pieds de la pasolinienne Antineska Nemour avant de la violer sauvagement. Sa carrière de comédien semble prendre fin en 1978 avec La fleur qui tue / Coups de gueule toujours et encore de Lenzi qui fut son réalisateur attitré,
On perd ensuite toute trace de Vittorio qui semble être définitivement retourné à ses fours non pas crématoires mais à pizza. Quelque fut son destin il restera pour l'amateur outre un éternel méchant à la solde de mafiosi une des incarnations du sadisme indissociable du nazisploitation qu'il marqua par son interprétation de Weissman dans Bourreaux SS.
Avec son physique de jeune premier issu de la Nouvelle vague qui n'était pas sans rappeler Jean-Pierre Léaud on se souviendra essentiellement de ce ténébreux et séduisant brun aux yeux verts pour ses inquiétantes apparitions dans La dame rouge tua sept fois d'Emilio Miraglia, un voyou maitre-chanteur dont on oubliera pas la mort atroce, et La mort caresse à minuit de Luciano Ercoli, un mystérieux musicien cette fois qui semble détenir un terrible secret. Le cheveu raide, la frange rebelle, la barbe naissante, le regard perçant, sinistre silhouette qui traverse ces films de manière énigmatique, c'est là une description qui collait
assez bien aux personnages que Fabrizo Moresco incarna lors de sa courte carrière cinématographique essentiellement orientée vers le thriller puisque hormis ces gialli il fut également à l'affiche de deux autres, Rivelazioni di un maniaco sessuale al capo della squadra mobile / La peur au ventre de Roberto Bianchi Montero dans lequel il interprète Piero le petit ami de Angela Covello et surtout Nuit d'amour et d'épouvante de nouveau signé Ercoli, non seulement son rôle le plus conséquent puisqu'il joue Bergson le jeune assistant de l'inspecteur de police qu'incarne un flegmatique Carlo Gentili mais également un personnage à l'opposé de ceux qu'il avait jusqu'alors l'habitude d'endosser
puisque Fabrizio, rasé de près, la fine moustache soigneusement taillée, forme avec George un duo plein d'humour, un peu gauche mais efficace. Il trouve là son rôle le plus sympathique depuis ses débuts de comédien qui remontent à la fin des années 60. C'est en effet en 1969 qu'il apparait pour la première fois au grand écran aux cotés de Claudine Auger et Tina Aumont pour Come ti chiami amore mio, un drame signé par l'acteur-réalisateur Umberto Silva. Il enchaine la même année avec Senza sapere niente di lei de Luigi Comencini, un thriller judiciaire dans lequel il donne la réplique à Philippe Leroy, un avocat accusé de la mort mystérieuse de Maria Mancuso, une de ses clientes, la mère de Fabrizio et fils ainé du
clan Mancuso. On l'aperçoit par la suite assez brièvement dans Il était une fois la révolution de Sergio Leone. Il y est un des fils de Rod Steiger. Entre 1971 et 1972 Fabrizo entame ensuite sa période giallo soit quatre titres en tout avant de s'orienter vers le western. Il est en effet au générique de La horde des salopards / Une raison pour vivre une raison pour mourir de Tonino Valerii pour lequel il endosse l'uniforme d'un soldat fédéré. Il est Fawcett le bras droit du Major Ward qu'incarne Telly Savalas. Ce sera pour Fabrizio son dernier véritable rôle au cinéma. On le reverra une ultime fois en 1973 dans Le magnifique avec Jean-Paul Belmondo, le temps malheureusement d'une apparition muette de quelques secondes, celui du jeune professeur à la pipe. Fabrizio disparaitra par la suite des écrans. Il semble depuis s'être évaporé et ne plus avoir donné signe de vie. Voilà qui est d'autant plus regrettable que le ravissant Fabrizio, après avoir travaillé pour Comencini et donné la réplique à quelques grands noms du cinéma italien, en plus d'un réel charisme, avait prouvé ses talents de comédien confirmés par ses apparitions dans les quelques gialli qu'il interpréta.