Femina ridens
Autres titres: Le duo de la mort / The laughing woman / The frightened woman
Real: Piero Schivazappa
Année: 1969
Origine: Italie
Genre: Thriller
Durée: 86mn
Acteurs: Philippe Leroy, Dagmar Lassander, Lorenza Guerrieri, Varo Soleri, Maria Cumani Quasimodo, Mirella Pamphili...
Résumé: Philanthrope reconnu, le docteur Sayer est également un disciple du Marquis De Sade. Chaque week-end il invite une fille de joie afin de satisfaire ses désirs pervers. Sayer a cependant un secret. Il a une phobie des femmes, persuadé que non seulement elles vont dominer sous peu le monde mais également se passer des hommes pour enfanter en ayant recours à la parthénogénèse. Une jeune journaliste, Maria, va devenir bien malgré elle l'objet de sa folie. Retenue prisonnière dans sa vaste demeure futuriste, il en fait son esclave docile et soumise. Maria va tenter de l'amadouer afin de mieux le contrôler et le détruire. Un jeu du chat et de la souris commence alors entre eux, les rôles s'inversent mais qui est en réalité Maria et quel est son objectif final?
S'il n'a que très peu travaillé pour le cinéma, plus intéressé par le petit écran, Piero Schivazappa a tout de même signé un des films les plus étranges de cette fin de décennie, injustement méconnu, un thriller psychologico-érotique quasi surréaliste aux réminiscences sadiennes, Femina ridens, littéralement La femme qui rit.
Schivazappa prend comme point de départ narratif l'éternelle dualité des sexes, cette peur maladive que l'homme a de la femme, de son cynisme et sa rationalité, l'idée qu'un jour elle
lui soit supérieure, un sujet qui à la fin des années 60 était encore tabou au cinéma d'où les démêlés avec la censure que connut le film à sa sortie en Italie. Cette phobie de la femme a depuis son enfance détruit la vie du Docteur Sayer, aujourd'hui à la tête d'un important groupe philanthropique. Eminent disciple du Marquis De Sade, Sayer invite chaque vendredi une fille de joie qu'il soumet à ses jeux pervers. A travers eux, il se venge de la gent féminine, vicieuse, sournoise, qui pense t-il se prépare en secret à imposer leur suprématie afin d'écraser l'homme. Il fait donc de ses partenaires ses esclaves qu'il paie généreusement
avant de les libérer. Sa rencontre avec Maria, une jeune journaliste qui prépare un dossier sur la stérilisation de l'homme dans certains pays d'Orient, va donner une nouvelle orientation à sa vie. Après lui avoir donné rendez-vous chez lui, il la drogue. A son réveil, Maria se retrouve menottée, prisonnière du docteur qui va faire d'elle sa nouvelle esclave entièrement soumise à ses désirs les plus délirants. De fil en aiguille, Sayer lui laisse entrevoir ses intentions en lui précisant bien qu'il a le droit de vie et de mort sur cette femme qui selon lui fait partie de celles qui tôt ou tard ont l'intention de se passer des hommes pour
enfanter par parthénogénèse. Débute alors un jeu étrange entre eux, celui du chat et de la souris où le plus malin n'est peut être pas celui qu'on croit. Usant de toutes ses armes, de son charme et sa force de persuasion, Maria va envouter Sayer pour mieux le dompter et entamer avec lui une romance sans pour autant coucher avec lui. Certain qu'une femme tue ses amants après leur avoir fait l'amour, telle la femelle du scorpion, un acte dont il fut témoin étant enfant et origine de son traumatisme, il refuse toute forme de sexe. Mais quelles sont les réelles intentions de Maria et qui est elle en réalité? Si tout semble clair, la jeune femme
n'a peut être pas abattu toutes ses cartes et garde peut être un atout caché dans ses manches.
Résumer Femina ridens est assez difficile tant le film de Schivazappa est riche et fourmille d'idées. Filmé comme une sorte de cauchemar futuriste, une bande dessinée d'anticipation pour adultes, Femina ridens est un véritable exercice visuel sur les pratiques sadiennes d'une part dans le sens le plus profond du terme, d'autre part un pamphlet particulièrement acerbe sur le sexisme, la misogynie, la misandrie et les fantaisies sexuelles les plus dépravées dans un environnement aussi moderne que décadent. C'est à cette guerre des
sexes ouverte depuis la nuit des temps que cet étrange couple va se livrer durant un week-end complet de façon aussi abstraite que silencieuse mais terriblement dangereuse durant laquelle les rôles de victime et de bourreau ne cesseront de changer et d'évoluer, un duo où chacun est passé maitre dans l'art de manipuler l'esprit.
Proche du cinéma de Marco Ferreri, Femina ridens ne dissimule pas ses intentions, toujours très claires. Mais n'est pas Ferreri qui veut et Schivazappa ne parvient pas toujours à aller au bout de ses ambitions les plus profondes. Une fois le voile levé sur la personnalité
du docteur et ses objectifs, Femina ridens se réduit à un splendide exercice de style, un somptueux chef d'oeuvre du pop-art, une oeuvre hautement psychédélique audacieuse qui aujourd'hui encore n'a rien perdu de sa force. Et c'est sur ce point précis que le film est absolument exceptionnel. Presque totalement situé dans la vaste demeure aux décors kubrickiens du docteur, Femina ridens se présente comme une forme d'hommage avant-gardiste aux artistes peintres Claude Joubert et Giuseppe Capogrossi, maitres de l'informel, et la néo-réaliste Nikki de Saint Phalle (tous cités lors du générique final) à qui on doit la
stupéfiante mais fascinante femme monstrueuse au vagin denté, symbole de castration, dans lequel entre le docteur avant d'en ressortir sous forme d'un squelette. Cet univers surréaliste, arty, aux couleurs chatoyantes qui tranchent avec un noir et blanc explosif, tout simplement envoutant, témoin de cette incroyable inventivité dont firent preuve les années 70, accentue le coté cauchemardesque de l'histoire tout en appuyant son effet hypnotique qui semble propulser dans une autre dimension comme hors du temps. Tous les amoureux de cette ère unique seront ici béats d'admiration face à une telle imagination créative, une telle
beauté visuelle à laquelle se marie délicatement la sublime musique mêlant pur psychédélisme, lounge et tonalités western (la scène de la piscine) de Stelvio Cipriani.
Avec grand talent, le cinéaste filme de manière aussi froide que sarcastique ses deux protagonistes qui se brisent mutuellement sous l'oeil incisif de la caméra, détaille à la fois les humiliations et autres outrages subis par Maria et la névrose de Sayer, Le sexe est omniprésent, le film respire d'un bout à l'autre l'odeur du sexe, plus spécialement la sadomasochisme. Si aujourd'hui Femina ridens paraitra bien sage et même amusant, il faut
remettre le film dans son contexte d'alors pour comprendre l'impact qu'il eut sur un public peu habitué à tant d'audace. Bondage, soumission, domination, avilissement, voyeurisme, Schivazappa déploie tout un éventail de perversions qui laisse la porte ouverte à l'imagination du spectateur transi qui ira au delà de ce que la caméra suggère. L'érotisme comme le sadomasochisme très pop-art eux aussi, puissamment évocateurs mais jamais provocants, sont filmés de façon artistique, originale, en parfaite adéquation avec les décors fabuleusement avant-gardistes. Entre dépravation et humour Schivazappa ne cesse de
jouer, désamorçant parfois l'aspect abrupte de certaines scènes notamment celle de la fellation que fait Maria de son plein gré à Sayer, symbolisation de la prochaine domination de la femme sur notre société, illustrée par une une fanfare de femmes jouant de la clarinette entrecoupée par la vision suggérée de la journaliste penchée au niveau des cuisses du docteur. Le metteur en scène multiplie les scènes faramineuses, étonnantes, indescriptibles, foisonnement de séquences toutes plus folles les unes que les autres parfois troublantes telle la danse qu'exécute Maria uniquement vêtue d'une gaze transparente, se déhanchant, lascive et sensuelle, sur un air ensorcelant où s'invitent de longs soupirs enivrants.
Ce huis-clos oppressant, fantastique, est rondement mené par d'une part Philippe Leroy dans le rôle du docteur, rigide, austère, humain inhumain, d'autre part par une toute jeune Dagmar Lassander au summum de sa beauté peut être pas de son talent. Le petit reproche qu'on pourrait faire au film est son interprétation pas toujours très crédible, ne parvenant pas forcément à trouver le juste milieu entre les émotions qu'elle ressent, entre peur et ténacité, un défaut qui s'estompe une fois qu'elle se trouve en position dominante, passant de victime à bourreau. Femina ridens fut le premier film que tourna Dagmar en Italie, un film dont le
succès populaire remporté lui ouvrit grand les portes de Cinecitta.
Sorti jadis en vidéo sous le titre Le duo de la mort affublé d'une version française qu'on préférera oubliée tant elle détériore le film, on savourera par contre les dialogues originaux italiens, Femina ridens, produit par Radley Metzger à qui on doit un autre chef d'oeuvre du bizarre, The lickerish quartet / Erotica, esotica, psichotica, est une oeuvre peut être pas unique mais en tous cas précurseur de toute une pléiade de films qui feront les beaux jours des années 70, une sorte d'ancêtre de la sexploitation transalpine, de ces pellicules sexuellement osées et particulièrement explicites qui allaient envahir le pays quelques années plus tard. Voilà un thriller étonnant, hypnotique, intelligent, audacieux tant dans sa forme que dans son fond, un petit diamant du pop art pelliculaire à découvrir ou redécouvrir de toute urgence,